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Claude Monet

Claude Monet 

Claude Monet par lui-meme

En 1900, Monet a atteint la gloire. A l'occasion d'une exposition parisienne un journaliste du Temps, Thiebault-Sisson, lui fait raconter sa vie. Le 26 novembre 1900 le journal Le Temps publie donc cette autobiographie oщ Monet batit lui-meme sa legende. Le texte, savoureux et volontiers anecdotique, n'est pas forcement le reflet fidele de la realite...

Mon histoire

Je suis un Parisien de Paris. J'y suis ne, en 1840, sous le bon roi Louis-Philippe, dans un milieu tout d'affaires oщ l'on affichait un dedain meprisant pour les arts. Mais ma jeunesse s'est ecoulee au Havre, oщ mon pere s'etait installe, vers 1845, pour suivre ses interets de plus pres, et cette jeunesse a ete essentiellement vagabonde. J'etais un indiscipline de naissance ; on n'a jamais pu me plier, meme dans ma petite enfance, а une regle. C'est chez moi que j'ai appris le peu que je sais. Le college m'a toujours fait l'effet d'une prison, et je n'ai jamais pu me resoudre а y vivre, meme quatre heures par jour, quand le soleil etait invitant, la mer belle, et qu'il faisait si bon courir sur les falaises, au grand air, ou barboter dans l'eau.

Jusqu'а quatorze ou quinze ans, j'ai vecu, au grand desespoir de mon pere, cette vie assez irreguliere, mais tres saine. Entre temps, j'avais appris tant bien que mal mes quatre regles, avec un soupcon d'orthographe. Mes etudes se sont bornees lа. Elles n'ont pas ete trop penibles, car elles s'entremelaient pour moi de distractions. J'enguirlandais la marge de mes livres, je decorais le papier bleu de mes cahiers d'ornements ultra-fantaisistes, et j' y representais, de la facon la plus irreverencieuse, en les deformant le plus possible, la face ou le profil de mes maitres.

Je devins vite, а ce jeu, d'une belle force. A quinze ans, j'etais connu de tout Le Havre comme caricaturiste. Ma reputation etait meme si bien etablie qu'on me sollicitait platement de tous cotes, pour avoir des portraits-charge. L'abondance des commandes, l'insuffisance aussi des subsides que me fournissait la generosite maternelle m'inspirerent une resolution audacieuse et qui scandalisa, bien entendu, ma famille : je me fis payer mes portraits. Suivant la tete des gens, je les taxais а dix ou vingt francs pour leur charge, et le procede me reussit а merveille. En un mois ma clientele eut double. Je pus adopter le prix unique de vingt francs sans ralentir en rien les commandes. Si j'avais continue, je serais aujourd'hui millionnaire.

La consideration, par ces moyens, m'etant venue, je fus un personnage, bientot, dans la ville. A la devanture du seul et unique encadreur qui fit ses frais au Havre, mes caricatures, insolemment, s'etalaient а cinq ou six de front, dans des baguettes d'or, sou un verre, comme des oeuvres hautement artistiques, et quand je voyais, devant elles, les badauds en admiration s'attrouper, crie, en les montrant du doigt, - C'est un tel ! - j'en crevais d'orgueil dans ma peau.

Il y avait bien une ombre а ce tableau. Dans la meme vitrine, souvent, juste au-dessus de mes produits, je voyais accrochees des marines que je trouvais, comme la plupart des Havrais, degoыtantes. Et j'etais, dans mon for interieur, tres vexe d'avoir а subir ce contact, et je ne tarissais pas en imprecations contre l'idiot qui, se croyant un artiste, avait eu le toupet de les signer, contre ce "salaud" de Boudin. Pour mes yeux, habitues aux marines de Gudin, aux colorations arbitraires, aux notes fausses et aux arrangements fantaisistes des peintres а la mode, les petites compositions si sinceres de Boudin, ses petits personnages si justes, ses bateaux si bien grees, son ciel et ses eaux si exacts,uniquement dessines et peints d'apres nature, n'avaient rien d'artistique, et la fidelite m'en paraissait plus que suspecte. Aussi sa peinture m'inspirait-elle une aversion effroyable, et, sans connaitre l'homme, je l'avais pris en grippe. Souvent l'encadreur me disait : "Vous devriez faire la connaissance de Monsieur Boudin. Quoi qu'on dise de lui, voyez-vous, il connait son metier. Il l'a etudie а Paris, dans les ateliers de l'ecole des Beaux-Arts. Il pourrait vous donner de bons conseils".

Et je resistais, je faisais mon faraud. Que pourrait bien m'apprendre un bonhomme aussi ridicule ?

Un jour vint pourtant, jour fatal, oщ le hasard me mit en presence de Boudin, malgre moi. Il etait dans le fond de la boutique ; je ne m'etais pas apercu de sa presence, et j'entrai. L'encadreur prend la balle au bond et, sans me demander mon avis, me presente : "Voyez donc, Monsieur Boudin, c'est ce jeune homme qui a tant de talent pour la charge !" Et Boudin, immediatement, venait а moi, me complimentait gentiment de sa voix douce, me disait : "Je les regarde toujours avec plaisir, vos croquis ; c'est amusant, c'est leste, c'est enleve. Vous etes doue, ca se voit tout de suite. Mais vous n'allez pas, j'espere, en rester lа.  C'est tres bien pour un debut, mais vous ne tarderez pas а en avoir assez, de la charge. Etudiez, apprenez а voir et а peindre, dessinez, faites du paysage. C'est si beau, la mer et les ciels, les betes, les gens et les arbres tels que la nature les a faits, avec leur caractere, leur vraie maniere d'etre, dans la lumiere, dans l'air, tels qu'ils sont".

Mais les exhortations de Boudin ne mordaient pas. L'homme, tout compte fait, me plaisait. Il etait convaincu, sincere, je le sentais, mais je ne digerais pas sa peinture, et, quand il m'offrait d'aller dessiner avec lui en pleins champs, je trouvais toujours un pretexte pour refuser poliment. L'ete vint ; j'etais libre, а peu pres, de mon temps ; je n'avais pas de raison valable а donner ; je m'executai de guerre lasse. Et Boudin, avec une inepuisable bonte, entreprit mon education. Mes yeux, а la longue, s'ouvrirent, et je compris vraiment la nature ; j'appris en meme temps а l'aimer. Je l'analysai au crayon dans ses formes, je l'etudiai dans ses colorations. Six mois apres, en depit des objurgations de ma mere, qui commencait а s'inquieter serieusement de mes frequentations et qui me voyait perdu dans la societe d'un homme aussi mal note que Boudin, je declarai tout net а mon pere que je voulais me faire peintre, et que j'allais m'installer а Paris, pour apprendre.

- Tu n'auras pas un sou !-Je m'en passerai.

Je pus m'en passer, en effet. J'avais depuis longtemps fait ma bourse. Mes caricatures l'avaient garnie largement. Il m'etait souvent arrive, en un jour, d'executer sept ou huit portraits-charge. A un louis la piece, mes rentrees avaient ete fructueuses, et j'avais pris l'habitude, des le debut, de les confier а une de mes tantes, ne me reservant pour mon argent de poche que des sommes insignifiantes. Avec deux mille francs, а seize ans, on se croit riche. Je me munis, pres de quelques amateurs de peinture qui protegeaient Boudin, qui avaient des relations avec Monginot, avec Troyon, avec Amand Gautier, de quelques lettres de recommandation et je filai dare-dare sur Paris.

Je mis quelque temps, tout d'abord, а me debrouiller. J'allai visiter les artistes pres desquels j'etais introduit. Je recus d'eux d'excellents conseils ; j'en recus aussi de detestables. Troyon ne voulut-il pas me faire entrer dans l'atelier de Couture ? Avec quelle decision je m'y refusai, inutile de vous le dire. J'avoue meme que cela me refroidit, momentanement du moins, dans mon estime pour Troyon. Je cessai peu а peu de le voir et ne me liai plus, tout compte fait, qu'avec des artistes qui cherchaient. Je rencontrai а ce moment Pissarro qui ne songeait pas encore а se poser en revolutionnaire et qui travaillait tout bonnement dans la note de Corot. Le modele etait excellent ; je fis comme lui, mais, tout le temps de mon sejour а Paris, qui dura quatre annees, etb qu'entrecouperent d'ailleurs de frequents voyages au Havre, c'est sur les conseils de Boudin que je me reglai, tout enclin que je fusse а voir avec plus de largeur la nature.

J'atteignis ainsi mes vingt ans. L'heure de la conscription allait sonner. Je la vis approcher sans terreur. Ma famille de meme. On ne m'avait pas pardonne ma fugue, on ne m'avait laisse vivre а mon gre, durant ces quatre annees, que parce qu'on esperait me pincer au tournant du service militaire. On supposait que, ma gourme une fois jetee, je me trouverais suffisamment assagi pou rentrer, sans trop me faire prier, chez les miens et me plier enfin aux affaires. Sur mon refus, on me couperait les vivres, et, si je tirais un mauvais numero, on me laisserait partir.

On se trompait. Les sept annees qui paraissaient si dures а tant d'autres me paraissaient а moi pleines de charmes. Un ami qui etait un "chass d'Af" et qui adorait la vie militaire, m'avait communique son enthousiasme et insuffle son goыt d'aventures. Rien ne me semblait attirant comme les chevauchees san fin au grand soleil, les razzias, le crepitement de la poudre, les coups de sabre, les nuits dans le desert sous la tente et je repondis а la mise en demeure de mon pere par un geste d'indifference superbe. J'amenai un mauvais numero. J'obtins, sur mes instances, d'etre verse dans un regiment d'Afrique et je partis.

Je passai en Algerie deux annees qui, reellement, furent charmantes. Je voyais sans cesse du nouveau ; je m'essayais, dans mes moments de loisir, а le rendre. Vous n'imaginez pas а quel point j'y appris et combien ma vision y gagna. Je ne m'en rendis pas compte tout d'abord. Les impressions de lumiere et de couleur que je recus lа-bas ne devaient que plus tard se classer : mais le germe de mes recherches futures y etait.

Je tombai malade, au bout de deux ans, tres gravement. On m'envoya me refaire au pays. Les six mois de convalescence s'ecoulerent а dessiner et а peindre avec un redoublement de ferveur. A me voir ainsi m'acharner, tout mine que je fusse par la fievre, mon pere se convainquit qu'aucune volonte ne me briserait, qu'aucune epreuve n'aurait raison d'une vocation aussi determinee, et, tant par lassitude que par crainte de me perdre, car le medecin lui avait laisse entrevoir cette eventualite, dans le cas oщ je retournerais en Afrique, se decida vers la fin de mon conge а me racheter.

"Mais il est bien entendu, me dit-il, que tu vas travailler, cette fois, serieusement. Je veux te voir dans un atelier, sous la discipline d'un maitre connu. Si tu reprends ton independance, je te coupe sans barguigner ta pension. Est-ce dit ?" La combinaison ne m'allait qu'а moitie, mais je sentis bien qu'il etait necessaire, pour une fois que mon pere entrait dans mes vues, de ne pas le rebuter. J'acceptai. Il fut convenu que j'aurais а Paris, dans la personne du peintre Toulmouche, qui venait d'epouser une de mes cousines, un tuteur artistique qui me guiderait et fournirait le compte rendu regulier de mes travaux.

Je debarquai  un beau matin chez Toulmouche avec un stock d'etudes dont il se declara enchante. "Vous avez de l'avenir, me dit-il, mais il faut canaliser votre elan. Vous allez entrer chez Monsieur Gleyre. C'est le maitre rassis et sage qu'il vous faut". Et j'installai en maugreant mon chevalet dans l'atelier d'eleves que tenait cet artiste celebre. J'y travaillai, la premiere semaine, en conscience, et j'enlevai avec autant d'application que de fougue mon etude de nu d'apres le modele vivant que Monsieur Gleyre corrigeait le lundi. Quand il passa, la semaine d'apres, devant moi, il s'assit, et, solidement cale sur ma chaise, regarda attentivement le morceau. Je le vois ensuite se retourner, inclinant d'un air satisfait sa tete grave, et je l'entends me dire en souriant : "Pas mal ! pas mal du tout, cette affaire-lа, mais c'est trop dans le caractere du modele. Vous avez un bonhomme trapu : vous le peignez trapu. Il a des pieds enormes : vous les rendez tels quels. C'est tres laid, tout ca. Rappelez-vous donc, jeune homme, que, quand on execute une figure, on doit toujours penser а l'antique. La nature, mon ami, c'est tres bien comme element d'etude, mais ca n'offre pas d'interet. Le style, voyez-vous, il n'y a que ca".

J'etais fixe. La verite, la vie, la nature, tout ce qui provoquait en moi l'emotion, tout ce qui constituait а mes yeux l'essence meme, la raison d'etre unique de l'art, n'existait pas pour cet homme. Je ne resterais pas chez lui. Je ne me sentais pas ne pour ercommencer а sa suite les Illusions perdues et autres balancoires. Alors а quoi bon persister ?

J'attendis toutefois quelques semaines. Pour ne pas exasperer ma famille, je continuai а faire acte de presence, mais le temps d'executer d'apres le modele une pochade, d'assister а la correction..., et je filais. J'avais trouve, d'ailleurs, а l'atelier, des compagnopns qui me plaisaient, des natures qui n'avaient rien de banal. C'etaient Renoir et Sisley, que je ne devais plus desormais perdre de vue ; c'etait Bazille, qui devint aussitot mon intime, et qui aurait fait parler de lui, s'il avait vecu. Ni les uns ni les autres ne mainfestaient plus que moi d'enthousiasme pour un enseignement qui contrariait а la fois leur logique et leur temperament. Je leur prechai immediatement la revolte. L'exode resolu, on partit, et nous prоmes un atelier en commun, Bazille et moi.

J'ai oublie de vous dire que, depuis peu, j'avais fait la connaissance de Jongkind. Pendant mon conge de convalescence, un bel apres-midi, je travaillais aux environs du Havre dans une ferme. Une vache paturait dans un pre : l'idee me vint de dessiner la bonne bete. Mais la bonne bete etait capriceuse, et, а chaque instant, se deplacait. Mon chevalet d'une main, ma sellette de l'autre, je la suivais pour retrouver tant bien que mal mon point devue. Mon manege devait etre fort drole car un grand eclat de rire, derriere moi retentit. Je me retourne et je vois un colosse qui pouffe. Mais le colosse etait un bon diable. "Attendez, me dit-il, que je vous aide". Et le colosse, а grandes enjambees, rejoint la vache et, l'empoignant par les cornes, veut la contraindre а poser. La vache, qui n'en avait pas l'habitude, se rebiffe. C'est а mon tour, cette fois, d'eclater. le colosse, tout deconfit, lache la bete et vient faire la causette avec moi.

C'etait un Anglais de passage, tres amoureux de peinture et tres au courant, ma foi, de ce qui se passait chez nous :

- Alors vous faites du paysage, me dit-il.- Mon Dieu, oui.- Connaissez-vous Jongkind ?- Non, mais j'ai vu de sa peinture.- Qu'en dites-vous ?- C'est rudement fort.- Vous etes dans le vrai. Savez-vous qu'il est ici ? - Ah bah ?- Il habite а Honfleur. Auriez-vous plaisir а le connaitre ? - Fichtre oui. Mais vous etes donc de ses amis ? - Je ne l'ai jamais vu, mais des que j'ai su sa presence, je lui ai envoye ma carte. C'est une entree en matiere. Je vais l'inviter а dejeuner avec vous.

L'Anglais, а ma grande surprise, tint parole et, le dimanche suivant, nous dejeunions tous trois de compagnie. Jamais repas ne fut si gai. En plein air, dans un jardinet de campagne, sous les arbres, en face d'une bonne cuisine rustique, son verre plein, entre deux admirateurs dont la sincerite ne faisait pas de doute, Jongkind ne se sentait pas d'aise. L'imprevu de l'aventure l'amusait : il n'etait pas habitue, d'ailleurs, а etrerecherche de la sorte. Sa peinture etait trop nouvelle et d'une note bien trop artistique pour qu'on l'appreciat, en 1862, а son prix. Nul, aussi, ne savait moins se faire valoir. C'etait un brave homme tout simple, ecorchant abominablement le francais, tres timide. Il fut tres expansif ce jour-lа. Il se fit montrer mes esquisses, m'invita а venir travailler avec lui, m'expliqua le comment et le pourquoi de sa maniere et completa par lа l'enseignement que j'avais dejа recu de Boudin. Il fut, а partir de ce moment, mon vrai maitre, et c'est а lui que je dus l'education definitive de mon oeil.

Je le revis а Paris tres souvent. Ma peinture, ai-je besoin de le dire, y gagna. Les progres que je fis furent rapides. Trois ans apres, j'exposais. Les deux marines que j'avais envoyees furent recues avec un numero un, accrochees sur la cimaise en belle place. Ce fut un gros succes. Meme unanimite dans l'eloge, en 1866, pour un grand portrait que vous avez vu chez Durand-Ruel fort longtemps, la Femme en vert.  Les journaux porterent mon nom jusqu'au Havre. La famille me rendit enfin son estime. Avec l'estime revint la pension. Je nageai dans l'opulence, provisoirement du moins, car on devait se rebrouiller par la suite, et je me lancai а corps perdu dans le plein air.

C'etait une dangereuse nouveaute. Nul n'en avait fait jusque lа, pas meme Manet qui ne s'y essaya que plus tard, apres moi. Sa peinture etait encore tres classique, et je me souviens toujours du mepris avec lequel il parla de mes debuts. C'etait en 1867 : ma maniere s'etait accusee, mais elle n'avait rien de revolutionnaire, а tout prendre,. J'etais loin d'avoir encore adopte le principe de la division des couleurs qui ameuta contre moi tant de gens, mais je commencais а m'y essayer partiellement et je m'exercais а des effets de lumiere et de couleur qui heurtaient les habitudes recues. Le jury, qui m'avait si bien accueilli tout d'abord, se retourna contre moi, et je fus ignominieusement blackboule quand je presentai cette peinture nouvelle au Salon.

Je trouvai tout de meme un moyen d'exposer, mais ailleurs. Touche par mes supplications, un marchand qui avait sa boutique rue Auber consentit а mettre en montre une marine refusee au Palais de l'Industrie. Ce fut un tolle general. Un soir que je m'etais arrete dans la rue, au milieu d'une troupe de badauds, pour entendre ce qu'on disait de moi, je vois arriver Manet avec deux ou trois de ses amis. Le groupe s'arrete, regarde, et Manet, haussant les epaules, s'ecrie dedaigneusement : "Voyez-vous ce jeune homme qui veut faire du plein air ? Comme si les anciens y avaient jamais songe !"

Manet avait d'ailleurs contre moi une vieille dent. Au Salon de 1866, le jour du vernissage, il avait ete accueilli, des l'entree par des acclamations. "Excellent, mon cher, ton tableau !" Et des poignees de main, des bravos, des felicitations. Manet, comme vous pouvez le penser, exultait. Quelle ne fut pas sa surprise quand il s'apercut que la toile dont on le felicitait etait de moi. C'etait la Femme en vert. Et le malheur avait voulu que, s'esquivant, il tombat sur un groue dont Bazille et moi nous etions. "Comment va ? lui dit un des notres. - Ah ! mon cher, c'est degoыtant, je suis furieux. On ne me fait compliment qued'un tableau qui n'est pas de moi. C'est а croire а une mystification".

Quand Astruc, le lendemain, lui apprit que son mecontentement s'etait exhale devant l'auteur meme du tableau et qu'il lui proposa de me presenter а lui, Manet, d'un grand geste, refusa. Il me gardait rancune du tour que je lui avais joue sans le savoir. Une seule fois on l'avait felicite d'un coup de maitre et ce coup de maitre avait ete frappe par un autre. Quelle amertume pour une sensibilite а vif comme la sienne.

Ce fut en 1869 seulement que je le revis, mais pour entrer dans son intimite aussitot. Des la premiere rencontre il m'invita а venir le retrouver tous les soirs dans un cafe des Batignolles oщ ses amis et lui se reunissaient, au sortir de l'atelier, pour causer. J'y rencontrai Fantin-Latour et Cezanne, Degas, qui arriva peu apres d'Italie, le critique d'art Duranty, Emile Zola qui debutait alors dans les lettres, et quelques autres encore. J'y amenai moi-meme Sisley, Bazille et Renoir. Rien de plus interessant que ces causeries, avec leur choc d'opinions perpetuel. On s'y tenait l'esprit en haleine, on s'y encourageait а la recherche desinteressee et sincere, on y faisait des provisions d'enthousiasme qui, pendant des semaines et des semaines, vous soutenaient jusqu'а la mise en forme definitive de l'idee. On en sortait toujours mieux trempe, la volonte plus ferme, la pensee plus nette et plus claire.

La guerre vint. Je venais de me marier. Je passai en Angleterre. Je trouvai а Londres Bonvin, Pissarro. J'y connus aussi la misere. L'Angleterre ne voulait pas de nos peintures. C'etait rude. Un hasard me fit rencontrer Daubigny, qui naguere m'avait temoigne de l'interet. Il executait alors des vues de la Tamise qui plaisaient beaucoup aux Anglais. Ma situation l'emut. "Je vois ce qu'il vous faut, me dit-il ; je vais vous amener un marchand". Je faisais la connaissance, le lendemain, de Durand-Ruel.

Et Durand-Ruel, pour nous, fut le sauveur. Pendant quinze ans et plus, ma peinture et celle de Renoir, de Sisley, de Pissarro n'eurent d'autre debouche que le sien. Un jour vint oщ il lui fallut se restreindre, espacer ses achats. Nous croyions voir la  ruine : c'etait le succes qui arrivait. Proposes а Petit, aux Boussod, nos travaux trouverent en eux des acheteurs. On les trouva tout de suite moins mauvais. Chez Durand-Ruel, on n'en eыt pas voulu ; on prenait confiance chez les autres. On acheta. Le branle etait donne. Tout le monde veut tater de nous aujourd'hui. 

 Le nom de Monet est etroitement lie а l'histoire de l'impressionnisme, а sa genese, а son evolution, а sa conclusion : C'est lа son premier titre de gloire.

Qu'est ce que l'impressionnisme :

Plus qu'une ecole, l'impressionnisme definit une recherche commune : il s'agit, non plus tant de rendre compte de la permanence et de la stabilite de la realite, mais bien plutot d'exprimer la nature (et notamment les paysages) dans ce qu'elle a de mouvant, de transitoire. Techniquement, cette approche se traduit par la fragmentation et la juxtaposition des couleurs primaires et de leurs complementaires, procedes visant а produire des "vibrations colorees".

Son origine :

Le mot impressionnisme pour definir cette periode de l'art est issu d'une peinture de Monet nommee impression, soleil levant. Celle-ci a ete peinte au Havre. En effet а la suite d'un article paru dans le Charivari oщ Louis Leroy prenait pour cible le tableau de Monet, en le taxant ironiquement d' "impressionniste", le terme fut retenu des lors par le groupe de peintres incrimine et par la critique.

Les paysages :

Monet est connu entre autre pour ses splendides paysages. Les impressionnistes preferent peindre la nature bucolique et la campagne au paysage gris et noir des villes. Ainsi peuvent exploser les couleurs.

L'obsession de la lumiere :

Monet observe l'instantaneite : C'est-а-dire la meme lumiere repandue partout. Ses premiers tableaux portant sur la lumiere sont des meules de foin normandes а differents moment de la journee et de l'annee (ces tableaux remporteront un enorme succes). S'ensuit des series d'etudes sur la cathedrale de Rouen et sur son jardin а Giverny.

Claude Monet

En quelques mots...

En dehors de quelques voyages, le grand representant de l'impressionnisme n'a jamais vraiment quitte les boucles de la Seine, depuis son enfance au Havre, sa jeunesse а Paris, puis la frequentation assidue de Bougival et d'Argenteuil, jusqu'а son installation а Giverny. De la caricature а la peinture d'apres nature

De la caricature а la peinture d'apres nature

Le peintre de plein air Eugene Boudin ayant, vers 1858, remarque les talents de caricaturiste de Claude Monet, invite celui-ci а travailler “sur le motif”. C'est une experience decisive pour le jeune homme. L'annee suivante, Monet quitte Le Havre, oщ il a passe son enfance et sa jeunesse, pour se rendre а Paris. Les encouragements du peintre animalier Constant Troyon (1810-1865) decident Claude Monet а prolonger son sejour dans la capitale. Il refuse toutefois de s'inscrire а l'atelier de Thomas Couture (1815-1879) et choisit l'enseignement de l'Academie suisse, oщ il rencontre Camille Pissarro. Apres deux annees de service militaire accompli en Algerie, Monet, de retour а Paris, entre en 1862 dans l'atelier du peintre Charles Gleyre. Comme Boudin l'avait incite а peindre en plein air, il persuade а son tour ses condisciples Frederic Bazille (1841-1870), Renoir et Sisley de le suivre en foret de Fontainebleau. Au mois de mai 1864, Bazille se joint а lui pour travailler sur les cotes normandes, en compagnie de Boudin et du Hollandais Jongkind (1819-1891).

L'aurore impressionniste

Pour Monet la peinture est une occupation obsessionnelle, а laquelle un artiste doit tout sacrifier. Le travail de ses debuts, bien qu'en rupture avec la peinture d'atelier, laisse apparaitre un certain nombre d'influences: la maniere de Corot est visible dans le Pave de Chailly (1865), la lecon de Boudin et Jongkind soigneusement mise а profit dans la Jetee de Honfleur (1864) et l'exemple de Manet fidelement suivi dans Camille Monet au petit chien (1866). Monet opere avec Femmes au jardin (1867) une rupture avec la representation “classique” du paysage qui etait traditionnellement attachee а la transposition d'un etat d'ame; cette peinture traduit immediatement, c'est-а-dire sans la mediation d'intentions “romantiques”, un instant fugitif de l'eclat de la nature au printemps. Cette oeuvre, qui releve encore de la technique de Manet, fut refusee au Salon de 1867, et achetee par Bazille pour aider Monet (en juin 1868, Monet, dans la misere, tentera de se suicider). On peut voir aussi dans cette toile la recherche “impressionniste” d'une atmosphere directement saisissable.

L'apparence et la realite

L'hiver 1868-1869, Monet, au cours d'un sejour а etretat, peint l'un de ses nombreux paysages de neige, la Pie , oщ l'oiseau n'est qu'une ponctuation se detachant sur la toile envahie d'une multitude de “blancs” differents. Au cours d'un sejour а Bougival, l'ete 1869, Monet travaille en compagnie de Renoir. Les deux peintres, rendant systematique le principe de la division des tons (Monet: la Grenouillere), inaugurent la vision nouvelle qui bientot fait ecole. А la fin de l'annee 1870, Monet rejoint Pissarro а Londres, oщ le paysagiste Daubigny le presente au marchand de tableaux Paul Durand-Ruel. Durant son sejour en Angleterre, il execute d'admirables paysages de brume, dont le Parlement de Londres (1871). Apres un passage en Hollande, oщ il se rend acquereur d'estampes japonaises qui lui revelent des procedes audacieux de cadrage, Monet regagne la France en 1871, peu apres la fin de la guerre. Dans les derniers jours de la meme annee, il s'installe а Argenteuil, creant dans cette petite commune des bords de la Seine le veritable foyer du mouvement impressionniste. Son tableau Impression, soleil levant (musee Marmottan, Paris), peint en 1872 au Havre, est la cible de l'exposition de groupe organisee le 15 avril 1874 chez le photographe Nadar. Meme dans ses paysages urbains (serie des vues de la Gare Saint-Lazare , 1876-1877), Monet exerce sa vision sur ce qu'il appelle un “maximum d'apparences, en etroites correlations avec les realites inconnues”.

Giverny

En 1878, le peintre s'installe а Vetheuil avant de s'etablir definitivement, cinq ans plus tard, а Giverny, oщ il residera jusqu'а la fin de sa vie. А l'issue d'un sejour dans le Midi, en 1888, il expose а Paris Dix marines d'Antibes, pour lesquelles Mallarme lui manifeste son admiration: “Il y a longtemps que je mets ce que vous faites au-dessus de tout, mais je vous crois dans votre plus belle heure.” Apres la serie des Peupliers et des Meules executee en 1890-1891, Monet peint, dans un souci de plus en plus marque de la lumiere et des apparences fugitives de l'instant, la serie des Cathedrales de Rouen (1892-1894).

Les series

On ne saurait attacher trop d'attention а ce travail par series dans la production de la maturite de Claude Monet. D'une serie а l'autre, une progression apparait а la fois dans le principe (un schema de composition de plus en plus uniforme а l'interieur de chaque serie) et dans le choix du sujet : aux motifs naturels (peupliers, meules), insignifiants et interchangeables que lui fournissent les environs de Giverny, succede celui d'une architecture sacree, unique, illustre et immuable, la facade de la cathedrale de Rouen. En entreprenant ces series, puis en les sacralisant en quelque sorte par le choix d'une cathedrale celebre, Monet confere une dignite superieure au principe impressionniste fondamental : : l'analyse des variations de la lumiere n'est pas seulement bonne pour representer des promeneurs а la campagne ou des pecheurs au bord de l'eau. Par une demarche qui annonce celle des peintres philosophes comme Kandinsky ou Malevitch, une intention theorique, presque ethique, prend ici le pas sur l'execution. Plus encore que celle des Meules, la serie des Cathedrales, puis celle, en tres grand format, des Nympheas constituent un fait pictural nouveau : ce sont des oeuvres oщ l'intention passe avant le souci de la representation. Un peu avant 1900, et jusqu'а la fin de sa vie, Monet s'attache en effet а prendre comme seul motif le bassin aux nympheas de son jardin de Giverny. Dans une souveraine indifference au sujet, les variations sur le theme du plan d'eau portent jusqu'aux extremes limites de ses consequences la “maniere impressionniste”. Cette prodigieuse serie de Nympheas , commencee en 1916 et achevee l'annee meme de la mort du peintre, est un don а l'etat. En 1927, les huit grandes compositions sont installees а l'Orangerie des Tuileries. Les grands Nympheas peuvent etre aujourd'hui regardes comme l'une des plus etonnantes representations picturales du “flux incessant des idees songeuses, sauvages, non retenues et а vrai dire non pensables” (Francis Ponge).

Les travaux de Monet

Claude Monet fut un artiste professionnel : non seulement il n'a jamais eu d'autre source de revenus que la peinture mais il a interprete sa vie entiere en peinture. Eleve au college du Havre il vend autour de lui des caricatures de ses professeurs et des notables de la ville. Puis du bonheur de la vie familiale au drame de la mort de sa femme Camille, tout devient sujet. Il semble qu'il lui est impossible d'exprimer autrement ses emotions que sous la forme d'une oeuvre d'art. Et quel Art ! Il aborde tres vite (des 1864) son modele principal, l'exterieur et il y est encourage par Eugene Boudin.